Sur initiative de Monsieur Souleymane Bérété, Président de la Chambre Nationale d’Agriculture de Guinée (CNA), des personnes ressources qui ont marqué d’une tache indélébile le secteur agricole guinéen, sont identifiées pour partager leurs différentes expériences. Ces personnes, à leur temps, ont contribué à faire de la Guinée, l’une des plus grandes et meilleure productrice de banane, d’ananas notamment.
Mais plusieurs décennies après, quels héritages ont-ils laissé ? Quels sont les secrets de leur réussite ? Quelles sont les difficultés qu’ils ont rencontrées ? Quels conseils donnent-ils aujourd’hui pour aider le secteur agricole guinéen à se développer et regagner une place en Afrique?
Ce sont là entre autres questions que l’équipe de la Communication de la Chambre Nationale d’Agriculture de Guinée a posé, pour ce premier numéro, à El Hadj Mamadou Saidou Diallo, ingénieur agronome à la retraite, ancien membre du Cabinet du Ministère de l’Agriculture, Président de l’Association de Formation et d’Aide au Développement Durable (AFADD). Il a travaillé dans plusieurs préfectures du pays et est l’un des acteurs du développement des filières café, cacao, huile de palme en Guinée Forestière. El Hadj Mamadou Saidou Diallo est le promoteur de la brigade de tomate au Fouta et c’est l’un des acteurs principaux de la mise en place des coopératives notamment à Timbi Madina (Pita), pour ne citer que ceux-là. (Voici la première partie de cette INTERVIEW EXCLUSIVE )
Bonjour El Hadj Mamadou Saidou Diallo, Quel regard portez-vous sur l’agriculture guinéenne que vous avez servie pendant plus de 30 ans ?
L’agriculture guinéenne, en dépit des résultats obtenus, a connu beaucoup de changements. Déjà, dès 1960, le nouveau régime a mis en place un système de mécanisation agricole en créant les Centres de Modernisation Rural qui regroupaient assez d’équipements et qui permettaient de mécaniser les activités des coopératives qu’on a créées dans chaque village. Malheureusement ça n’a pas duré et on a dû fermer pour s’occuper d’autres choses. Ensuite au Ministère de l’Agriculture, on a commencé à changer un peu de système en s’adressant directement aux petits paysans. On les a organisés en brigade de production, notamment au Fouta, c’était « Brigade de tomate » parce qu’elles devraient produire de la matière première pour la conserverie de Mamou. Et ces brigades ont fonctionné pendant quelques années. Et puis on a créé les brigades de mécanisation agricole qui ont fonctionné quelques années et puis on a créé les FAPA sur lesquels on a travaillé jusqu’à la fin du régime de Sekou Touré. Tous ces investissements menés en faveur de l’agriculture n’ont pas obtenu les résultats souhaités parce qu’on est encore à la quête de notre autosuffisance alimentaire. Probablement parce que les politiques énoncées ne coïncident pas avec le niveau de formation du paysan et on voulait des résultats rapidement alors que l’idée qu’on a envoyé au paysan il n’a pas le temps de la réflexion et de l’adhésion à l’idée pour qu’elle se pérennise. Si les approches utilisées ne convainquent pas le paysan que vous voulez l’aider, il a l’impression que vous voulez l’utiliser pour faire un travail qui n’est pas le sien, il ne marche pas avec vous. Ça a été le cas des Brigades parce que dans les brigades qui ont été prévues selon l’approche, on donne la semence, deux paires de bœufs, deux charrues, les fusils, les cartouches, le ravitaillement. C’est ce qu’on avait prévu pour chaque brigade. Et on dit à la brigade qu’elle travaille pour elle-même. Naturellement, le paysan ne croit pas à ça. Tu me donnes tout ça et tu dis qu’à la récolte c’est pour moi ? Pourquoi tu me donnes tout ça ? Alors probablement c’était une idée à rejeter. Pourtant, les brigades ont rapporté quelque chose qui est restée, c’est la mécanisation à la charrue, il y’a des zones qui ne connaissaient pas la charrue attraction animale, qui a amélioré les superficies emblavées. Alors les gens se sont adaptés puisque c’est moins pénible et certains ont gardé la charrue et ça a fait un impact. Quand les brigades ont été fermées, les machines et matériels ont été cédés à des privés qui ont continué à travailler. Ensuite les paysans ont appris qu’il y’a une machine qui peut remplacer la force physique pour travailler, ainsi, ils ont pris goût à la mécanisation, c’était un plus. Mais du point de vue résultats économiques et en denrées alimentaires, le résultat n’était pas satisfaisant.
On a apporté des améliorations : quand je prends par exemple le cas du traitement du café, dans la zone de Kissidougou, Guéckédou, Macenta en général, si vous regardez aujourd’hui encore le produit du café, il est meilleur à celui de N’Zérékoré. Parce que c’est dans ces trois préfectures que la vulgarisation du traitement du café a été plus intense. Par contre, l’huile de palme, du côté de N’Zérékoré, était plus performante parce qu’en fonction du potentiel on leur a appris à extraire l‘huile à partir de l’eau bouillante au lieu de laisser en maturation dans les fosses les noix de palme et de les écraser à pied avant d’extraire l’huile qui n’a pas le même goût et la même qualité que l’autre. Donc, on a laissé un peu d’impact . Par ailleurs, je me souviens qu’à Guéckedou, on a eu l’initiative d’importer de la Côte d’Ivoire et du Libéria, de l’hévéa et du café Robusta et Arabica. C’est nous qui avons importé l’Arabica dans la région. On a développé des pépinières dans la région et on a distribué des plants. Ça a permis de relancer une partie de la production du café de qualité.
Toujours pour parler d’impacts, à Labé où j’ai été, j’ai constaté que l’agriculture mécanisée en grande surface avec les terres qui étaient pratiquement considérées comme des aires mortes, ne pouvaient pas donner de résultats. J’ai donc appesanti mes efforts sur les cultures maraichères et les arbres fruitiers. Et on a eu des pépinières partout dans les arrondissements et nos agents sont allés apprendre à greffer à Foulaya (Kindia), sur notre propre initiative et de retour à Labé, chacun avait la mission d’avoir dans sa pépinière 50 mille à 100 mille plants greffés notamment des manguiers. Ça s’est développé très vite et ça a laissé un impact. En culture maraichère, on faisait notamment l’oignon blanc qui est difficile à conserver. A l’occasion d’un séminaire au Niger, j’ai découvert une variété d’oignon qu’on peut conserver facilement, la violette de Galmi. J’ai acheté quelques kilos de graines que j’ai baladé un peu partout jusqu’au Cameroun et que j’ai distribué dès mon retour en Guinée. Tout le monde y a pris goût et ça nous a permis de savoir que cette variété là on la conserve bien. Pour moi c’est un autre impact.
Maintenant là où on a échoué je pense. On n’a pas réussi vraiment à pérenniser le système coopératif. Ça je le regrette. Parce qu’on ne donnait pas le temps aux paysans de réfléchir et d’accepter l’idée de partager avec les autres. Mais nous avons essayé et puisque ça n’a pas marché, nous avons fermé les coopératives.
Je continue à penser, aujourd’hui encore, que le système de coopératives doit être le point d’appui du développement rural.
Vous qui avez vécu ce passé de l’agriculture, quel souvenir en gardez-vous ?
Nostalgique non, mais je pense que ça aurait pu réorienter. Les FAPA étaient un excellent projet du point de vue principes. C’est à dire des ingénieurs agronomes formés, qui ont à leur disposition du matériel de mécanisation, on leur attribue des domaines exploitables, c’était déjà un pan important de la promotion de l’agriculture. Mais ce n’était pas suffisant. Premièrement, n’est pas entrepreneur n’importe quel ingénieur agronome. Et puisqu’on n’avait pas les moyens pour exploiter les équipements. Alors les fonds de démarrage, les fonds de roulement, les salaires des travailleurs, doivent être proportionnels à l’objectif visé. A défaut, vous avez du matériel, vous travailler un moment, mais vous n’utiliser pas le matériel en ses pleines capacités parce que soit le carburant manque, soit c’est la semence, soit la main d’œuvre pour l’entretien. Les Brigades étaient faites en réalité sur le concept socialiste et le guinéen n’avait pas adhéré à la communauté des biens. Les brigades c’est pareil. Dans un village vous êtes par exemple 40 chefs de famille, vous avez donc deux charrues, vous devez donc faire un champ, c’est obligatoire, mais c’est pour vous. On donne la semence, le fusil, le matériel, vous récoltez vous partagez. Les gens ne croyaient pas à ça. Ensuite, si ça échoue et que leur famille n’ait pas à manger, c’était un problème. On va au champ, investissement humain, on travaille dans l’enthousiasme, on se sépare. Mais après ça chacun rentre dans son champ, parce qu’il faut que la famille vive. On abandonne le champ communautaire et on s’occupe du champ personnel et ça ne pouvait pas réussir.
Ces dernières années le Ministère de l’Agriculture et de l’Elevage a pris plusieurs initiatives à travers la mise en place par exemple de FODA, de SIGUICODA qui ressemblent un peu à ce que vous venez d’expliquer. Quel regard portez-vous sur ces initiatives ?
Je pense que c’est de très bonnes politiques d’accompagnement du développement de l’agriculture si une société est mise en place pour mécaniser les activités des paysans, c’est une excellente chose.
FODA qui mobilise, qui apporte les équipements et qui les redistribue à crédit aux paysans, même si celui-ci n’a pas encore accès au crédit bancaire pour faciliter le paiement des 35 pour cent pour avoir la machine et quand tu as la machine, tu as un délai très court pour rembourser le reste. Et l’agriculture guinéenne reste encore aléatoire parce qu’on ne maitrise pas encore l’eau. Tu peux faire un beau et vaste champ, mais à la fin il n’y a pas de pluie et au finish tu ne récoltes pas. Je pense que ce qui est fait est très bien mais il y a des compléments à envisager. Il faut se focaliser toujours sur le groupe mais librement constitué, la coopérative. J’évoque la Coopérative parce que dans ses lois, il est obligatoire de former les membres techniquement pour la production dans la filière qu’ils ont choisie, dans la gestion de l’association et la gestion financière et leur apprendre à connaitre la responsabilité du créancier vis-à-vis du débiteur. Une fois que c’est fait, un nombre important, chacun apporte une garantie selon au moins la part sociale qu’il a souscrite dans la coopérative pour les cas où il faut rembourser des dettes, c’est déjà un montant qui est déjà une caution de garantie pour un bailleur : une banque ou un micro finance. Et si c’est accompagné d’un projet bancable, avec un bon plan d’affaires qui ressort que dans les trois ans le projet est rentable, on peut donc améliorer le système et garantir qu’on peut rembourser la dette. Ce bon plan d’affaires, accompagné d’une bonne organisation de la coopérative et la garantie solidaire des membres de la coopérative permettent à la coopérative de bénéficier d’un financement par crédit qui ne compte pas seulement sur les subventions sur les maigres ressources que les membres ont économisé. Ça va accélérer la production agricole et la productivité parce qu’il y a beaucoup à financer. Donc il faut des fonds de garantie à des coopératives bien organisée avec un capital social d’autant plus qu’aujourd’hui la société-coopérative elle est régi par une loi supra nationale l’OHADA. Moi ma coopérative est agréée ici, mais elle est valable dans tous les pays membres de l’OHADA. Si j’ai un problème avec quelqu’un, c’est cette loi qui tranche. Si vous voulez, c’est une garantie pour les banquiers, pour les bailleurs de fond. Donc une coopérative permet de mobiliser une garantie pour accéder aux financements. N’oubliez jamais que le paysan et le banquier sont deux partenaires qui s’ignorent et qui se craignent. Le paysan veut acheter de l’argent pour financer ses activités, le banquier vent de l’argent pour financer ses activités. Mais le paysan se dit, si je prends l’argent avec le banquier je ne réussis pas, il va prendre ma maison alors je recule au lieu d’avancer. Le banquier dit, si je prête l’argent au paysan il ne rend pas je fais faillite. Alors, il faut une politique de mise en relation entre le banquier et le paysan. J’ai eu la chance de bénéficier d’un séminaire organisé par l’USAID à Niamey au Niger en 1989 sur « La mise en relation de deux partenaires qui s’ignorent et se craignent ». Ça m’a convaincu qu’on allait trouver une solution entre les deux. Dès que le banquier a confiance que le partenaire a une garantie pour rembourser, la banque prête. Je vous donne un exemple : la Fédération des Paysans du Fouta Djallon. Si elle a besoin de milliards à la banque, on lui prête parce qu’elle a prouvé qu’elle est solvable, crédible. Moi si j’ai une coopérative avec toutes les bonnes intentions, si je viens je n’aurais pas l’argent. L’Etat doit mettre en place un fonds de garantie pour que toute coopérative régulièrement agréée puisse bénéficier de crédit sur garantie de ce fond.
Dans quelle autre disposition faudrait-il mettre le paysan pour l’accompagner ?
Il y’a un problème qu’on ne connait pas bien en Guinée encore, l’assurance du paysan. L’agriculteur a beaucoup d’aléas. On peut cultiver en respectant les normes mais une calamité naturelle s’abat déçu et vous n’avez plus rien et maintenant vous devez faire face à des créanciers, il faut une assurance pour supporter çà. La coopérative devrait être le cheval de bataille des ministères de l’agriculture et de l’élevage, du commerce, de la Chambre Nationale d’Agriculture,…En 1989, au Rwanda les coopératives étaient des milliardaires, c’est elles qui géraient les hôtels, le tourisme, c’est elles qui avaient le monopole de l’exportation du café, cacao, …parce qu’ils avaient les moyens d’acheter ce qu’ils produisaient : les coopératives de productions ont aussi parfois des coopératives qui interviennent dans la commercialisation et qui exportent. Sinon elles vendent aux coopératives qui sont dans l’exportation. Je pense qu’on peut envisager ça chez nous, avoir un programme de formation des coopératives sans contraindre les gens, une libre adhésion on leur apprend à se gérer, à produire, surtout que la technologie nous amène très loin en ce moment. Mais ce sont de gros investissements qu’il faut. Lorsque les coopératives et fédérations de coopératives sont importantes, au lieu de FODA ou SIGUICODA qui viennent vendre des prestations aux paysans, la fédération des coopératives elle-même prend des équipements qui sont nécessaires à son travail et elle les gère. C’est une juxtaposition qui est meilleure à celle de l’intervention directe de l’Etat ou d’une entreprise quelconque parce qu’avec la coopérative on planifie toujours le travail qu’on a à faire et l’excédent de main d’œuvre, de machine, de matériel ou autre, on le mettra à la disposition des voisins qui ne sont pas membres de la coopérative qu’on appelle les usagers.